La médiation d’entreprise : un outil incontournable pour sauver les entreprises d’un glissement vers l’insolvabilité
1. Question de sémantique tout d’abord
Le législateur belge a choisi la dénomination « médiateur d’entreprise » pour désigner cette ressource qui a pour vocation d’aider les entreprises en difficulté. Pour beaucoup, ce vocable a engendré une confusion avec le médiateur de droit commun, agréé par la Commission Fédérale de la Médiation.
Or, il ne s’agit absolument pas du même rôle ni du même périmètre d’action. Même si le législateur a sans doute choisi le terme « médiateur d’entreprise » parce que, comme nous le verrons, son rôle peut être en effet de trouver des accords amiables avec des créanciers, il ne faut absolument pas le confondre avec le médiateur qui mène une médiation volontaire ou judiciaire comme Mode Alternatif de Résolution de Conflit (MARC). Pour éviter cette confusion, la France a préféré le terme « mandataire ad hoc » pour qualifier le mandat dont nous allons parler ci-dessous.
2. Ce que dit la loi belge :
La Loi belge relative à la Continuité des Entreprises (LCE) a défini ce nouveau rôle qui s’inscrit dans le cadre des initiatives pour venir en aide aux entreprises en difficulté. Le législateur a veillé à le mettre davantage en valeur dans le Livre XX du Code de Droit Economique (CDE), en lui consacrant un Titre IV intitulé « Médiateur d’entreprise et accord amiable ».
Cette évolution du droit belge s’est opérée en exécution des recommandations de la Commission européenne et également de la Banque Mondiale qui recommandent de « développer des modalités de traitement de l’insolvabilité qui sont détachées des tribunaux ou qui peuvent en être détachées ». Suivant l’article XX.36, § 1er, CDE, « Lorsque le débiteur le demande, le président du tribunal peut désigner un médiateur d’entreprise en vue de faciliter la réorganisation de tout ou partie de ses actifs ou de ses activités ».
3. Démarche volontaire et anticipative du dirigeant d’entreprise
Entendons-nous bien. Le chef d’entreprise peut entreprendre une consultation sur les difficultés financières de son entreprise avec toute personne compétente sans passer par le tribunal. Introduire une demande auprès du tribunal de l’entreprise est une démarche
volontaire prouvant aux autorités judiciaires qu’elle ne veut pas cacher ses problèmes et qu’elle veut placer l’entreprise dans un
processus de sauvegarde qui pourrait passer par des moyens que la justice peut mettre à sa disposition.
La démarche du débiteur auprès du tribunal est purement volontaire et nullement obligatoire. Le tribunal ne dispose d’aucun pouvoir d’initiative en la matière et n’a pas l’autorité de désigner un médiateur d’entreprise d’office. Même s’il arrive en pratique que, si la chambre des entreprises en difficulté est avisée par l’ONSS ou la TVA que l’entreprise est en difficulté financière, cette instance puisse lui suggérer de faire appel à un médiateur d’entreprise.
En tout état de cause, la demande de désignation d’un mandataire d’entreprise auprès du tribunal doit émaner du débiteur et de lui seul. En aucun cas elle ne peut émaner d’un tiers. Le législateur a voulu simplifier au maximum la procédure, atténuer son coût et faciliter sa rapidité d’exécution. La demande peut être formulée par une entreprise qui ne serait pas assistée d’un avocat. Elle n’est soumise à aucune règle de forme et peut même être formulée oralement. Elle est purement optionnelle, si l’entreprise le juge utile.
Dans le même esprit, la mission du médiateur d’entreprise prend fin lorsque le débiteur ou même le médiateur d’entreprise le décident
(si le médiateur n’est pas d’accord avec les orientations que prend le chef d’entreprise). Leur seule obligation étant d’avertir le président du tribunal de la fin de la mission. Le médiateur d’entreprise ne doit pas rendre compte de sa mission au tribunal sauf si cette condition avait été inscrite explicitement dans l’ordonnance du juge.
4. Ordonnance du juge
Le président du tribunal de l’entreprise qui accède à une demande d’assistance d’un médiateur d’entreprise, fixe par ordonnance rendue en chambre du conseil, l’étendue et la durée de la mission du médiateur d’entreprise dans les limites de la demande du débiteur.
Dans la pratique, la mission du médiateur est formulée de manière large afin de laisser une certaine marge de manœuvre au médiateur. Elle peut comprendre les éléments suivants, comme ce fût le cas lors d’une ordonnance du tribunal de Nivelles du 30 septembre 2010 : se faire une opinion personnelle de la situation de la société, contacter tout candidat-investisseur et, à défaut de repreneurs, proposer aux intéressés des formules possibles, se faire également une idée sur les moyens d’opérer un transfert en protégeant les intérêts en cause et de procéder à tout contact, notamment avec les travailleurs et les banquiers.
Il est très important de noter que l’ordonnance qui désigne le médiateur d’entreprise n’est pas publiée au Moniteur belge.
5. Confidentialité
Par cette non-officialisation de la mission du médiateur d’entreprise, le législateur a entendu rendre sa désignation aussi discrète que
possible. L’objectif de son intervention est, en effet, de permettre à l’entreprise de se redresser le plus rapidement et le plus efficacement possible. Ce qui sous-entend de ne pas rompre le lien de confiance qui existe entre l’entreprise et ses partenaires. La publication au Moniteur de la désignation du médiateur d’entreprise pourrait en effet effrayer certains créanciers. Dans la plupart des hypothèses, le médiateur d’entreprise aura, certes, à se faire connaître de certains tiers puisqu’il a notamment un rôle d’intermédiaire, mais il pourra le faire auprès des personnes de son choix et de celui du débiteur, en fonction des nécessités et de son analyse de la situation.
Au niveau de ce principe de confidentialité, le médiateur d’entreprise et le conseil d’administration de l’entreprise devront évaluer dans quelle mesure cette désignation doit être signifiée au conseil d’entreprise. Le droit social impose cette information pour des événements susceptibles d’entraîner des conséquences importantes pour l’entreprise. Par contre, une telle information risque ainsi d’être ébruitée en dehors de l’entreprise et mettre en péril toute la démarche du médiateur d’entreprise.
Le médiateur d’entreprise est par ailleurs tenu par le secret professionnel de sa profession.
6. Choix du médiateur d’entreprise
L’entreprise en difficulté peut proposer le nom d’un médiateur que le tribunal devra prendre en considération. Il peut s’agir d’un
administrateur qui connaît bien l’entreprise, d’un ami compétent, d’une relation de confiance ou d’un professionnel de l’insolvabilité.
Bien que le Livre XX du CDE ne le précise pas expressément, les conseils de l’entreprise (avocats, experts comptables) ne pourraient
pas être considérés comme candidat médiateur d’entreprise, car ils sont trop proches de l’entreprise. L’indépendance du médiateur
d’entreprise est fondamentale pour qu’il puisse être crédible vis-à-vis des tiers et mener à bien sa mission.
Si le chef d’entreprise n’a pas de candidat à présenter, le président du tribunal ou la chambre des entreprises en difficulté peut lui proposer une liste de professionnels de l’insolvabilité qui auront les compétences pour l’assister.
7. Profil, compétences et rémunération du médiateur d’entreprise
Le médiateur d’entreprise est donc un tiers indépendant dont la mission est de faciliter la réorganisation de l’entreprise du débiteur. Il
doit offrir des garanties de compétence, d’expérience, d’indépendance et d’impartialité. Il doit surtout être un analyste expérimenté capable de faire très vite un topo de la situation et venir avec des recommandations. Il sera en quelque sorte un coach, un consultant et un facilitateur d’une solution, mais en aucun cas un administrateur provisoire. Comme nous l’avons dit plus haut, le médiateur d’entreprise ne doit pas être un médiateur agréé de droit commun, même si sa formation peut s’avérer utile au niveau des négociations amiables qu’il va entamer avec des tiers.
Le président du tribunal de l’entreprise ou la chambre des entreprises en difficulté désignent généralement comme médiateur d’entreprise soit un avocat spécialisé en droit des entreprises et en droit de l’insolvabilité, soit un professionnel du chiffre ayant une excellente connaissance juridique des procédures d’insolvabilité. Mais un profil idéal est également un homme d’affaires, consultant en stratégie, reconnu pour son expérience en matière de gestion et de redressement d’entreprises qui a une formation de mandataire judiciaire de crise.
Si tout ce processus d’aide et d’accompagnement de l’entreprise dans sa restructuration en vue d’éviter l’insolvabilité peut tout à fait se dérouler en dehors des tribunaux, il existe une raison supplémentaire
pour le médiateur d’entreprise d’encourager le débiteur à demander l’intervention de la chambre des entreprises en difficulté. C’est
l’assurance d’être payé. Le médiateur d’entreprise négocie ses rémunérations directement avec l’entreprise. L’exposé des motifs de
la loi souligne à ce sujet que le médiateur doit pouvoir accepter sa mission sans crainte de ne pas être payé.
Il est sain que le médiateur prodigue des conseils véritablement professionnels, et donc, rémunérés à leur juste valeur.
Le juge peut donc dans son ordonnance donner au médiateur d’entreprise un privilège pour frais de justice qui le mettra à l’abri d’une déconvenue. Sa démarche ne s’apparente en effet pas à du bénévolat.
8. Rôle premier du médiateur d’entreprise
La désignation d’un médiateur d’entreprise n’est pas considérée comme une mesure conservatoire ou provisoire, mais comme une
mesure d’assistance de l’entreprise en difficulté.
Le médiateur d’entreprise doit amener le débiteur à réfléchir à sa situation. Il a un rôle de conscientisation du débiteur et a, à ce titre, la légitimité pour évaluer objectivement si l’entreprise est viable, si la faillite est inexorable ou si une voie alternative est possible.
Il n’appartient pas au médiateur d’entreprise de jouer un rôle actif dans la réorganisation de l’entreprise, hormis celui, comme nous le verrons, d’intermédiaire potentiel vis-à-vis de certains tiers. Il n’a, en tout état de cause, aucun rôle décisionnel. Il est là pour réfléchir et travailler à la situation financière difficile de l’entreprise pour que le chef d’entreprise se décharge de cette préoccupation et puisse se concentrer sur la gestion opérationnelle de son entreprise. Le chef d’entreprise reste à la barre.
Seul le dirigeant est à même de mettre en œuvre les solutions pour l’entreprise. Le médiateur d’entreprise qui est indépendant, impartial et neutre vis-à-vis des solutions proposées va évaluer et peser tous les ingrédients à l’origine de la situation dégradée : financiers et juridiques, mais aussi techniques, humains, relationnels, managériaux, familiaux… Le propre du médiateur d’entreprise est de ne privilégier aucun de ces points de vue.
Le médiateur d’entreprise doit être force de propositions. Si le dirigeant retient les idées proposées, il doit les intégrer comme siennes pour les mettre en œuvre, car c’est avant tout par sa propre capacité à réagir et à relancer sa situation qu’il rétablira la confiance de ses partenaires.
9. Rôle supplémentaire du médiateur d’entreprise
Outre son rôle de conscientisation du chef d’entreprise, le médiateur d’entreprise a donc vocation à pouvoir servir d’interface entre le
débiteur et les tiers (représentants du personnel, créanciers, actionnaires, partenaires financiers, invests, banques et fournisseurs). Dans toute entreprise dont le passif financier est important, seule une négociation favorable avec les créanciers extraordinaires permet
d’aboutir à un accord. De par leurs compétences en matière économique et financière et de par leur capacité à convaincre non seulement les créanciers à faire des abattements, mais aussi les actionnaires et le management à faire des concessions, les médiateurs
d’entreprise sont sans doute les seuls à pouvoir aboutir à des accords globaux.
La loi les encourage, d’ailleurs, à jouer un rôle majeur dans la négociation d’accords amiables avec tout ou partie des créanciers du débiteur.
Ils peuvent également informer l’entreprise des possibilités qui s’offrent à elle dans le cadre d’une réorganisation judiciaire, des démarches à entreprendre et des documents à rassembler pour initier une telle procédure.
Ils peuvent aussi, en toute discrétion et si cette opportunité est retenue, mettre en place le plan de PRJ à présenter au tribunal et préparer tous les documents nécessaires à l’ouverture de la procédure. Le médiateur peut aussi rechercher des repreneurs pour tout ou partie de l’entreprise en vue d’une PRJ de transfert et négocier avec ceux-ci en vue de proposer une solution au tribunal allant dans ce sens.
10. Le médiateur d’entreprise et l’insolvabilité transfrontalière
Lorsque par exemple dans un groupe d’entreprises, certaines filiales débitrices sont dépendantes de la maison mère belge, ou à l’inverse quand une filiale belge dépend d’une maison mère étrangère, le médiateur d’entreprise peut jouer un rôle déterminant. Grâce à sa connaissance du droit et des procédures étrangères, de pas sa connaissance des langues et des cultures étrangères, il peut mettre en place des collaborations avec des médiateurs étrangers, des avocats ou même des tribunaux étrangers.
11. Possibilité de continuation de mission
La mission du médiateur peut se poursuivre ou même d’ailleurs intervenir après l’ouverture d’une procédure de réorganisation
judiciaire. La loi prévoit que la mission du médiateur doit pouvoir évoluer en fonction de la situation. Désigné pour tenter de dégager
les pistes de négociation d’un, de deux ou de plusieurs accords amiables hors procédure, il doit pouvoir pérenniser les efforts qu’il a
déployés et s’appuyer sur les résultats qu’il a engrangés en demeurant investi de sa mission après l’ouverture de la PRJ. Et ce y compris si celle-ci tend à un moment donné vers un accord collectif ou à un transfert sous autorité de justice, en remplacement ou en parallèle du ou des accords amiables qu’il aurait négociés.
Dans l’hypothèse où la désignation du médiateur d’entreprise est prononcée dans le jugement d’ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire, la créance de frais et honoraires du médiateur d’entreprise est traitée comme une créance sursitaire extraordinaire, ce qui lui donne l’assurance d’être payé de ses prestations.
12. Rôle en évolution du médiateur d’entreprise
Les pays anglo-saxons et plusieurs pays limitrophes à la Belgique (France, Allemagne et Pays-Bas) ont des législations encore plus
avancées que les nôtres en matière d’insolvabilité. Le règlement 2015/848 du Parlement européen sur les procédures d’insolvabilité
devra d’ailleurs être transposé en droit belge avant le mois de juin 2021.
Ces procédures ont toutes le même objectif : contribuer en toute confidentialité à la réussite de la restructuration des entreprises en difficulté par un travail très en amont et « out of the court » dès l’apparition de signaux faibles d’insolvabilité. C’est ce qui dans le langage judiciaire international s’appelle le « Pre-Insolvency ». Le rôle du médiateur d’entreprise en droit belge est à cet égard essentiel, car il est déjà consacré par le Livre XX comme étant l’opérateur reconnu pour organiser des accords amiables hors procédure et pour initier des Procédure de Réorganisation Judiciaires.
Pour les médiateurs d’entreprises expérimentés, il existe une série
d’approches créatives inspirées des législations avancées en matière d’insolvabilité et agrégées sous l’appellation « Pre-Pack ». Le PrePack a pour objectif le redressement de l’entreprise ou, à tout le moins, le sauvetage de ses unités viables. Le Pre-pack peut entreautres permettre de préparer une cession d’une partie de l’activité à une valeur going concern qui sera ensuite avalisée par le tribunal de la faillite.
13. En résumé : quels sont les avantages d’une mission confiée à un médiateur d’entreprise ?
a. Rompre l’isolement du dirigeant.
On ne le dit pas assez : un dirigeant de PME/TPE est avant tout une personne isolée, qui échange peu, voire pas du tout, sur les problèmes qu’il rencontre. Un médiateur d’entreprise devient un interlocuteur privilégié pour lui. Il aura pour mission de dédramatiser la situation et d’apporter un soutien moral au chef d’entreprise. Il permet aussi de réagir vite à une situation qui peut dégénérer. Par sa créativité, il permet au chef d’entreprise de rebondir et de ne pas sombrer dans l’apathie.
b. Ne pas inquiéter les créanciers.
- Grâce à la confidentialité de la démarche, éviter les
réactions des fournisseurs qui pourraient demander des
paiements pour les futures livraisons « au cul du camion »
ce qui affaiblirait encore le niveau de la trésorerie. - Éviter que les banques dénoncent les crédits.
- Éviter de placer l’entreprise en situation de faiblesse lors
d’éventuelles prochaines négociations commerciales.
c. Prendre la problématique très tôt.
Plus tôt l’entreprise réfléchit à des solutions constructives, plus les chances de sauver l’entreprise sont grandes.
d. Donner la légitimité à un tiers de négocier.
Le médiateur d’entreprise ayant un mandat du tribunal via une ordonnance, a une légitimité pour négocier. Ses compétences,
son statut et son indépendance lui permettent d’avancer auprès des créanciers la probabilité d’une faillite et de négocier ainsi un
accord confidentiel qui pourra être présenté au tribunal ultérieurement. Cette légitimité peut aussi servir dans la relation avec les actionnaires et les fournisseurs.
e. Donner du temps au dirigeant et lui permettre de :
- Analyser la situation générale avec recul.
- Prendre conscience de sa part de responsabilité.
- Conduire une réflexion sur la structuration de l’entreprise (qualité relationnelle, moyens techniques, commercialisation, fournisseurs, achats, sous-traitance…).
- Faire l’état des lieux avec les experts de l’entreprise (experts comptables, juristes, banquiers, secrétariat social) ou avec certains partenaires (associés, fournisseurs, clients…).
- Imaginer et envisager des solutions.
- Adapter sa stratégie de communication aux différents partenaires de l’entreprise.
- Mettre en œuvre les solutions retenues.
- Proposer au juge des solutions.
- Donner le temps à l’entreprise de se restructurer pour dégager une nouvelle marge bénéficiaire qui lui permettra de repartir du bon pied.
- Rétablir le leadership du dirigeant
La vie de l’entreprise n’est pas un long fleuve tranquille. Tant d’événements extérieurs peuvent venir bouleverser les plus beaux plans. Toute personne peut faillir, toute entreprise aussi. La procédure préventive du médiateur d’entreprise a tout son sens et l’on peut légitimement se demander pourquoi celle-ci reste aussi confidentielle.
Sources :
Cours pour l’obtention du diplôme de mandataire judiciaire de crise UCL/FUCAM 2019-2020 :
- Administrateurs provisoires, médiations judiciaires ou amiables, solutions alternatives de conflits dans les organes de gestion ou entre associés.
Me. Nicholas Ouchinsky
(Lexlitis) - Les réorganisations d’entreprises en difficulté après le livre XX.
Me. Yves Brulard
(DBB Law)